Une journée chez les Sculpteurs de Ciels
Il y a des jours comme ça dans la vie d’un journaliste. Des jours où on a envie de lever le pied. Non pas qu’on se désintéresse des meurtres crapuleux et de tout ce qui peuple habituellement la rubrique des chiens écrasés, mais il arrive qu’on développe de l’urticaire suite à une overdose d’hémoglobine, ou après s’être fait drogué puis violé avant d’avoir couru plusieurs heures dans les bois pour échapper à ses tortionnaires.
Dans ces cas-là, la meilleure solution pour se remettre dans le bain et remettre les pendules à l’heure est un grand bol d’air frais et poétique dans notre belle nature, juste de quoi se souvenir pourquoi Greenpeace a été créée.
Connaissez-vous un petit groupe de pilotes surnommés les Sculpteurs de Ciels ? Non ? C’est normal. Jusqu’à il y a peu de temps, je ne les connaissais pas plus que vous, et pourtant.
Vaquant à mes occupations habituelles (et inavouables, mais je m’égare…) du côté de Rockford Hills, je suis abordé par un excentrique, un petit bonhomme barbu à la bedaine en forme de poire vêtu d’une veste en cuir usée, un casque d’aviateur en cuir vissé sur la caboche. Visiblement aux anges, ce parfait inconnu (britannique à en croire son accent) m’annonce que Le Fendeur est de nouveau opérationnel. Tout ça est parfait, je suis ravi pour lui, mais cela a à peu près autant de sens pour moi que de trouver une pantoufle chasseuse de raviolis dans mon cellier. Une petite séquence de questions/réponses me permet d’éclaircir la chose :
Mon interlocuteur s’avère être Sir Jorge, comme il aime à s’appeler, membre d’une petite communauté partageant une double passion : le pilotage et la photographie. Ils se surnomment eux-mêmes les Sculpteurs de Ciels pour une raison qui m’échappe encore, et Le Fendeur est tout simplement le vieux biplan hérité de son grand-père, jusqu’alors relégué à la grange suite à un incident mécanique (un pigeon plus gros que la moyenne serait passé dans l’hélice de l’appareil si j’en crois ce qu’il me dit).
Après ma dernière expérience avec les énergumènes du Mont Chiliad, l’idée de réaliser un article un tantinet artistique en étant tranquillement assis dans le cockpit d’un avion à profiter du paysage ne me déplaît pas. Jorge s’extasie lorsque je me présente comme reporter, et m’invite immédiatement à le retrouver à l’aéroport de Los Santos le lendemain matin à l’aube pour rencontrer ses “collègues”, comme il les appelle.
Los Santos Airport - 5 A.M.
À l’aube, à l’aube… On est au mois d’août, l’aube pointe 5 h du matin, mais l’agent ensommeillé qui m’a ouvert l’accès aux pistes m’avait prévenu qu’il n’y avait personne pour le moment.
Après une heure en solitaire, à regretter ma cafetière et à faire des vers en “r”, un 4x4 rouillé, apparemment rempli de gens, se présente sur les pistes désertes et se dirige vers moi. Je reconnais immédiatement Jorge à son nez bien rouge, et jette un œil à ceux qui l’accompagnent : cinq personnages tout droit sortis d’un livre pour enfant, plus excentriques les uns que les autres.
Jorge me les présente rapidement :
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Harold, un géant barbu avec la poigne d’un épaulard (à supposer qu’une orque ait des mains) apparemment échappé d’un goulag.
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Baptist, un bon-vivant plus large que haut avec une coupe au bol, toujours souriant. Il ne manque plus que la tunique de moine, des ruches et Robin des Bois dans un coin du tableau.
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Judith, le parfait stéréotype de la mécano qui en a plus dans le pantalon que n’importe quel mec. Un éternel chewing-gum dans la bouche et un ensemble en jean viennent “féminiser” sa voix éraillée et son langage fleuri.
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Nathaniel, la “minorité décorative” ou “la grande folle” comme l’appellent affectueusement les autres. Une drag-queen d’1 m 85 avec un polo de marin et des mains comme des battoirs.
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Et Zooey, la plus jeune et la seule apparemment normale du groupe, une petite brune avec de grands yeux bleus qui regarde déjà le hangar commeun enfant lorgne sur les sucettes pendant que sa mère discute avec la boulangère.
Les présentations faites, le hangar est ouvert et chacun se dirige vers son petit bijou. Quelques minutes plus tard, tous sont alignés devant le bâtiment, prêts se placer pour le décollage.
Étant mon interlocuteur principal au sein du groupe, Jorge me fait monter à l’avant de son biplan, un vieux coucou qui semble avoir fait les deux guerres sans passer de contrôle technique.
Alors que les autres décollent les uns après les autres, Jorge me hurle quelque chose, mais les crachats du moteur couvrent sa voix, à tel point que je me contente de hocher vigoureusement la tête en m’accrochant à mon siège alors que l’avion prend peu à peu de la vitesse.
L’important pour ne pas avoir peur en avion, c’est de fermer les yeux pendant le décollage il paraît. Mais considérant le fait que ma tête débouche à l’air libre et que les hurlements du moteur me donnent l’impression que la carlingue va partir en morceaux dans les secondes à venir, je vais me contenter de prier en regrettant de ne pas avoir rédigé mon testament.
La tête dans les nuages.
Et hop, c’est fini.
Non, non non, je ne suis pas mort, je veux dire qu’on a décollé. Une fois dans les airs, c’est bien plus calme. Jorge réduit les gaz et m’invite à sortir mon appareil dès que je le peux, les Sculpteurs de Ciels doivent pouvoir immortaliser n’importe quel instant.
Plutôt que de faire du verbiage barbant, je vous propose de retracer la journée au travers des clichés les plus marquants que j’ai pu prendre durant celle-ci.
Tout ça était vraiment chouette, mais tellement fatigant.
Je rentre chez moi à la nuit tombée, l’appareil plein, un léger mal de l’air avec vertiges et nausées au programme, mais finalement pas déçu de cette journée.
Si d’aventure vous vous promenez dans Blaine County et que vous entendez le cri d’un vieux diesel à l’agonie, levez les yeux, et peut-être aurez-vous la chance de voir passer un vieux coucou conduit par un énergumène sympathique…