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Immersion dans l'anti-mercantilisme écologique : quand l'American Dream s'effondre

Kiki

Cet article a été écrit dans un contexte spécifique et peut refléter des sensibilités ou des approches qui peuvent ne plus correspondre à celles de son auteur aujourd'hui. Avec le recul, certaines choses ne seraient plus écrites de la même manière aujourd'hui. Ces archives restent néanmoins une trace précieuse d'une époque où créativité et passion guidaient chaque ligne. Merci de le lire avec recul.

Toujours à la recherche d’originalité, une idée est venue à l’une des nouvelles recrues du Liberty Tree. Certains d’entre vous connaissent probablement le clan de marginaux vivant sur les pentes ouest du Mont Chiliad à Blaine County. Difficiles à cerner, difficiles à approcher, qui sont-ils, ou plutôt QUE sont-ils réellement ? Des yuppies modernes ? De simples fous ? Qu’est-ce qui les poussent à vivre ainsi à l’écart de notre belle civilisation enfast-foodée et libérale ?

Sur le départ

C’est pour répondre à toutes ces questions et à bien d’autres encore que le Liberty Tree a affrété un avion à l’aube, afin de m’emmener au plus proche de l’action.

Une fois là-bas, une société de location m’a permis de prendre les commandes de… d’un… (“Comment ils appellent ça, déjà ?” - “Un Warthog.”) D’UN WARTHOG. Bien sûr, me demanderez-vous, kékéssé qu’un Warthog ? Disons que c’est le meilleur moyen d’aller au plus court quand on veut faire du hors-piste :

Et il ne fallut pas moins que ce splendide franchiseur pour permettre à votre serviteur de cavaler gaiement sur les flancs de la montagne. Pour d’évidentes raisons de respectabilité du reporter, on omettra quelques incidents d’ascension et autres rencontres sanglantes avec des écureuils.

Premier contact

Une fois arrivé aux abords du camp, il fallut bien improviser. En bon américain civilisé, je décidai de me présenter à la porte principale afin de tenter un contact amical en leur apportant un peu de démocratie. Deux habitants du camp me virent arriver, et me firent aimablement comprendre qu’ils… erh… ne désiraient pas être dérangés.

Dès lors, plusieurs choix s’offraient à moi. Il était hors de question pour moi de me faire plomber au .45 ACP, et encore moins question d’abandonner ce reportage. J’envisageai alors une infiltration souterraine par une sorte de conduit bétonné évacuant les eaux usées, ce que d’aucuns considéreraient comme une mauvaise idée.

Oui, cette photo est à l'endroit Oui, cette photo est à l’endroit

L’infiltration me semblant être le moyen le plus sûr, je réfléchi et arrivai finalement à la conclusion qu’une seule alternative m’apporterait les réponses à mes questions et supprimerait - théoriquement - le risque de finir criblé de balles : pour rentrer chez Eux, je devais devenir l’un d’Eux.

Adieu, donc, ma délicate chemise de soie, exit mes magnifiques chaussures à crédit, bonjour la boue, les plaies infectées et les morpions.

Rencontre du troisième type

Après deux heures de maquillage et autres préparations où je me bénissais d’avoir travaillé comme esthéticien dans mes années étudiantes, je me présentai à nouveau à l’entrée du camp, cette fois-ci à pied. Plus trace des deux énergumènes rencontrés précédemment, mais un troisième type. Un charmant bonhomme d’une cinquantaine d’années, nu comme la Création (à l’exception d’un holster improvisé accroché à son aisselle), qui eut la bonté de répondre à mes questions.

(Suite à diverses plaintes relatives aux droits à l’image et au contenu potentiellement choquant que cela représenterait, nous sommes dans l’impossibilité de publier une photo du sujet. Faites marcher vos neurones !)

Quitte à choquer les adeptes de la langue de Molière, je dus adapter mon langage à celui de mon interlocuteur, non seulement pour ne pas faire tomber ma couverture, mais aussi pour être sûr qu’il comprenne mes propos. Les lignes ci-dessous retranscrivent intégralement l’entretien qui suivit.

Requiem for a Dream

Ir : Salut gars ! Comment va ?

(me regardant d’un air patibulaire, mais presque) : Qui qu’c’est qu’t’es toi ? S’rait-ti qu’tu s’rais l’nouveau qu’arrivé tantôt ?

Ir : Son haleine de rat mort me fait vaciller. Je regrette instantanément de l’avoir abordé, mais acquiesce tout de même.

Ié : T’as eu d’la chance gamin, on aime pas les nouveaux d’habitude ! D’jà y’a pas trois heures, y’a un peine-à-jouir d’la ville qu’a débarqué avec son cam’tar. T’peux m’croire qu’il a déguerpi comme un mexicain d’vant les grippe-jésus quand on lui a montré comme qu’ça s’passait ici ! (il rit grassement et s’interrompt pour cracher une glaire de la taille d’une balle de golf) Mais toi t’viens d’chez le vieux José j’crois, donc c’pas pareil…

Ir : C’est ça. Comment ça s’organise ici ?

Ié : Bêh ça s’organise pas, c’ça qu’il est bien ! T’as p’us d’taxes, p’us d’essence à payer, p’us rain à payer, p’us rain PASSE QUE C’EST QU’T’ES LIBRE GAMIN. C’qu’ici on vit vraiment t’comprends ? On profite d’la vie comme c’est qu’è vient à nous !

Ir : Parfait, ça m’changera de Sandy Shores ! Comment on mange, où est-ce qu’on dort sinon ?

Ié : Pour dormir t’as qu’à t’trouver une paillasse dans une des cabanes. Y’en a plusieurs d’libres depuis qu’èques s’maines. Y’a Georges qu’a tombé dans l’Zancudo quand c’est qu’y pêchait, y’a l’vieux Jack qu’a été choppé par c’foutu grizzly y’a trois jours quand y ramassait des champignons pour les gosses. Et les trois gosses qu’étaient avec lui, y’en a deux qu’sont t’jours pas r’venu. Donc t’sais qu’à l’choix de la piaule maintenant. Comment qu’on mange ? Ben comme c’est qu’Mère Nature elle nous nourrit ! On bouffe du lapin, du cerf, du lapin, du puma quand c’est qu’on arrive à en buter un, ‘fin tout c’qui passe pas loin du camp quoi ! L’seul truc, c’est qu’y’a souvent plus de plomb qu’de viande quand c’est qu’on les récupère, passe que c’est qu’les gars veulent êt’ sûrs qu’y sont morts et qu’y vont pas s’remettre à courir ! (il rit de nouveau)

Ir : Vous avez parlé de champignons tout à l’heure ?

(occupé à se curer le nez, avant de manger ce qu’il y trouve) : Ah, oui, mais c’pas pour manger ça, gnéhé. C’est pour voler qu’on les prend ! C’est gratuit, c’est pas comme ces merdes qu’les mexicains et TPI t’vendent la peau des yeux du cul ! Alors c’sûr qu’c’est pas aussi fort, mais on mâche de c’t’herbe qui pousse à côté d’la station d’épuration en même temps, comme ça c’est tout pareil, mais c’tout propre ! (il fouille sa poche et sort une poignée de tiges de petite cigüe) Tiens, bouffe-moi ça gamin, t’vas m’dire si c’est pas aussi bien qu’la méth de c’taré d’Philips !

Ir : Merci, non, j’ai pas faim.

Ié : C’est-y pas qu’t’as peur gamin ? Il sort un revolver et me met en joue Mange que j’te dis, t’vas voir, c’est qu’tu vas dev’nir un comme nous après, un vrai gars libre !

J’obtempère sous la menace, et grignote l’une des tiges vert pâle. Un vertige me prend en quelques secondes, et de violents hauts-le-cœur me mettent à genoux. Alors que je tente de reprendre mes esprit, une odeur de charogne brûlée me saisit les narines et je perds connaissance.

La Mort aux Trousses

Je me réveille. J’ai mal. Mal partout. Je suis seul, nu dans une cabane obscure. J’ai l’impression d’avoir reçu des coups de batte dans le dos et sur les bras. Je sens un liquide chaud couler le long de ma cuisine. Du sang.

Ce sang, cette douleur… Je me suis fait… (un haut-le-cœur me fait vomir une bile orangeâtre)

Putain, mais qu’est-ce qui m’a pris de vouloir faire un reportage sur ces malades ? Je veux mon bureau, je veux mes affaires de meurtres crapuleux, je veux mon appartement sur Weasley Street, je veux mon chat, je veux retrouver ma ville, ma civilisation, je veux mon doudou et ma cafetière…
Partir. Il faut que je parte d’ici.

Je cherche à tâtons et trouve un pantalon qui dégage une odeur infecte. Je l’enfile et trouve la porte. Je jette un oeil à l’extérieur. Il fait nuit (combien de temps suis-je resté inconscient ?), et personne en vue. Merde, si. Deux hommes armés montent la garde dans un mirador à proximité de l’entrée du camp. Il va falloir que je trouve un autre moyen.

Un rapide coup d’œil me permet de repérer un endroit ou une caisse posée contre la palissade devrait m’amener assez haut pour l’escalader. Je me glisse discrètement entre les cabanes et arrive sans encombre jusqu’au mur d’enceinte. Juché sur la caisse, je regarde en contrebas, de l’autre côté du mur. Cinq mètres de vide. Entre risquer de me briser une jambe en tombant, et me trouver bloqué - _définitivement _- chez ces fous furieux, le choix est vite fait. Je saute en visant un buisson feuillu. L’atterrissage est rude, mais plus de peur que de mal.

LE GAMIN S’EST TIRÉ !!!

Et merde. J’ai reconnu la voix de mon “interlocuteur”. Des lumières s’allument dans l’enceinte, et de puissants projecteurs balaient les abords du camp, m’aveuglant soudainement.

LÀ ! J’LE VOIS ! DANS L’BUISSON !!!

Fini de rire. Maintenant je marche ou je crève. En fait, je crois même que je vais courir.

Et je commence donc à cavaler de toutes mes jambes, sur la pente raide qui s’enfonce dans la forêt qui recouvre les flancs du Mt Chiliad. Je m’écorche les bras en traversant des fourrés, me blesse la plante des pieds sur des pierres aiguisées, mais les lointains faisceaux des torches et les aboiements des chiens qui résonnent dans mon dos sont comme autant de fouets qui me harcèlent et me poussent à ne pas m’arrêter, ne fût-ce qu’une seconde.

Je bouscule de grandes fougères, saute par-dessus un ru qui coule doucement dans la mousse, effraie un hibou qui hululait sur sa branche, et poursuit ma course pendant plusieurs minutes, lorsque je remarque une masse sombre sur ma gauche. L’entrée d’une grotte. Je ralentis un instant et m’en approche. L’odeur de charogne qui en émane et la respiration cyclopéenne qui résonne à l’intérieur ne me permettent pas d’hésiter, et je reprends ma course, laissant là la profonde cavité naturelle et son occupant inconnu. Trente secondes plus tard, alors que mon souffle se fait cours, le cri de douleur d’un chien, loin derrière moi, semble-t-il au milieu de mes poursuivants me fait me retourner. Les cris ont changé, un chien aboie violemment, un autre hurle à la mort. Des coups de feu claquent. Un animal rugit. Au son de sa voix, il doit être énorme. Le sort du vieux Jack évoqué par mon tortionnaire me revient. Les hommes hurlent, et en quelques secondes, le silence. Plus de cris, plus d’aboiement. Plus de rugissements ni de coups de feu. La paix est revenue.

Je reprends lentement mon souffle, et écoute les bruits qui m’entourent. Une rumeur lointaine, murmure dans la direction où je me dirigeais dans ma fuite. Reprenant une marche plus calme, mais aussi plus douloureuse, je progresse lentement, et après une demie-heure de marche, des lumières fugaces apparaissent entre les arbres. Une route. La civilisation.

Je hâte le pas et débouche rapidement au bord d’une autoroute. Enfin. Mon billet de retour…

Je repenserai à tout ça quand je rédigerai cet article. Le journalisme, c’est bien, mais plus jamais d’article sur les habitants de Blaine County. PLUS JAMAIS.