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Une autre bavure policière à Los Santos

Special-K

Cet article a été écrit dans un contexte spécifique et peut refléter des sensibilités ou des approches qui peuvent ne plus correspondre à celles de son auteur aujourd'hui. Avec le recul, certaines choses ne seraient plus écrites de la même manière aujourd'hui. Ces archives restent néanmoins une trace précieuse d'une époque où créativité et passion guidaient chaque ligne. Merci de le lire avec recul.

Rappelons les faits, si vous le voulez bien. La journée avait pourtant bien commencé. Un vendredi ensoleillé, l’une des rares journées sans smog. Une température chaude mais supportable. Un magnifique weekend qui s’annonçait, avec l’ouverture du 28ème Festival Jazz de Los Santos. La ville fourmillant de touristes pour l’occasion. Ce beau paysage de carte postal allait pourtant s’assombrir, au moment même où le soleil tirait sa révérence nous laissant voir un ciel aux couleurs saisissantes.

Partout, c'était le chaos total Partout, c’était le chaos total

Cambriolages, meurtres, agressions, dommages à la propriété, tout allait être au menu le soir venu, après le croisement des destins de Hewitt Brown, jeune afro-américain de 18 ans vivant dans les quartier défavorisés de Los Santos,  et celui d’un patrouilleur de la police municipale.

Moi et mon photographe, Steven, étions au Liberty Tree Tower , à discuter de certains articles, lorsque nous avons entendu au récepteur de fréquences de la police que ça chauffait dans le secteur de Ganton. La communication n’était pas très net car nous entendions plusieurs coups de feu en arrière-plan chaque fois qu’un policier sur les lieux prenait la parole. Puis à cet instant l’ordre fut donné par le QG d’abandonner le secteur et de battre en retraite. Il n’en fallait pas plus pour que Steven et moi sautions dans l’ascenseur pour prendre la route afin de couvrir la nouvelle. En nous éloignant un peu du centre-ville nous avons commencé à essuyer de la résistance. C’est à ce moment que nous avons vu les premiers signes de folie, les gens se pourchassaient armés de couteaux et d’objets de toutes sortes, ce qui donnait droit à des scènes horribles. En nous approchant du point d’origine d’où tout semblait avoir débuté, nous avons réalisé les grands risques que nous courrions. Puis sans crier garde, nous nous sommes retrouvé en plein dans la gueule du loup, il y avait des Orange Grove Families partout où on regardait. Nous étions au point de non retour… c’était comme être en pleine jungle urbaine. À partir de maintenant c’est notre débrouillardise qui allait décider pour notre avenir.

Une photo qui aurait pu nous coûter la vie Une photo qui aurait pu nous coûter la vie

Les OGF sillonnaient les rues, équipés d’armes de poing, de pistolets-mitrailleurs et de RPG, à la recherche de Vagos et de Ballas pour se mettre sous la dent. Il était donc prescrit pour moi et mon photographe de ne pas nous mettre en travers de leur chemin, nous nous souvenions que plusieurs autres de nos collègues avaient payé de leur vie en ayant été un peu trop téméraire. On pouvait sentir les balles perdues fendre l’air autour de nous. Il n’y avait donc rien d’exceptionnel de voir plusieurs mares de sang un peu partout sur la chaussée.

Mais où était la police durant tout ce temps, alors que la folie gagnait la population? Les hauts gradés étaient demeurés confortablement au poste à siroter un café en suivant l’histoire sur CNN, laissant ainsi tout le sale boulot aux patrouilleurs sur le terrain. Une patrouille du SWATT quand à elle parcourait les rues à vive allure, au volant de leur véhicule de service. Armés de fusils automatiques d’assaut, sans questionner ni faire de distinction, ils ouvraient pratiquement le feu sur tout ceux qui semblaient louche à leurs yeux.

Quelques photos prises lors de notre périple aux travers les rues de la ville Quelques photos prises lors de notre périple aux travers les rues de la villeLe Ammu-Nation a était pris d’assaut par les citoyens

Et monsieur le maire? Facile de répondre à cette question. En début de soirée, au moment où les choses se sont corsées, notre très cher maire s’envolait en hélicoptère vers une destination inconnue au lieu de tenter de calmer la population. Une habitude chez lui de fuir ses responsabilités. Les citoyens devaient compter que sur eux-mêmes pour assurer leur protection puisque les autorités étaient débordées. Voyant que l’enfer s’emparait de Los Santos, de nombreuses personnes sans histoire ont littéralement prise d’assaut les boutiques d’armes à feu afin de se procurer un moyen de protection.

Le Well Stacked Pizza où s'est joué un terrible drame Le Well Stacked Pizza où s’est joué un terrible drame À l'intérieur du Well Stacked Pizza À l’intérieur du Well Stacked Pizza

Au cours de notre expédition nocturne, qui prenait quelques fois les allures d’un cours de survie, nous sommes entré dans un Well Stacked Pizza pour nous réfugier d’un type fou armé d’un AK47 qui se trouvait dans le secteur.  Là nous y avons trouvé un policier à genou, les mains sur la tête et qui pleurait la mort de son collègue abattu froidement d’une décharge de fusil. Nous avons alors tenté d’informer ce policier de la présence du fou armé mais il ne nous répondait pas. Il murmurait des choses incompréhensibles, c’était comme ci il ne remarquait même pas notre présence. Nous avons donc décidé moi et mon photographe de poursuivre notre fuite en empruntant la porte arrière du resto. Une fois à l’extérieur, après avoir parcouru à peine 100 mètres dans la ruelle, nous avons alors entendu  des coups de feu provenant de l’endroit que nous venions de quitter. Probablement un échange musclé entre le policier et ce type du AK47. Ça n’a duré que quelques instants mais je vous jure, un soudain silence de mort s’est emparé ensuite du secteur. Nous sentions l’eau glacée nous couler le long du dos. Nous nous sommes regardé moi et mon photographe, nous espérions que ce brave policier s’en soit tiré mais il était trop risqué pour nous de retourner sur les lieux pour nous en assurer.

Les heures suivantes étaient des répétitions de scènes que nous avions vu durant toute la nuit, véhicules en feu, hélicos de la police et des nouvelles fourmillant le ciel, débris jonchant les rues, vitres de commerces fracassées, du pillage, des cris et des pleurs, c’était terrifiant. Le seul réconfort dans ce chaos provenait de l’horizon alors que le jour se levait lentement, agonisant dans un nuage grisâtre provoqué par les nombreux incendies faisant rage dans la ville. Puis à notre grand soulagement, nous avons aperçu ces soldats de la garde nationale qui déambulait les rues en formant des pelotons, ouvrant la route aux fumée et aux camions de transport de troupes. Jamais nous aurions cru nous sentir aussi bien de voir cette nuit se terminer ainsi.

De gauche à droite, la ville se relevant difficilement du traumatisme qu'elle vient de vivre. La police reprenant lentement le contrôle des rues de Los Santos sous lourde escorte militaire. De gauche à droite, la ville se relevant difficilement du traumatisme qu’elle vient de vivre. La police reprenant lentement le contrôle des rues de Los Santos sous lourde escorte militaire.Un ambulancier donnant les premiers soin

Un jeep s’est alors stoppé, au volant le caporal Wood, qui nous invitait à l’accompagner pour nous emmener au campement improvisé qui avait été érigé autour de l’Hôtel de ville. Durant les quelques minutes qu’ont durer notre voyage, nous avions l’impression que tout tournait au ralenti autour de nous. Il y avait des soldats escortant des prisonniers, ce vieux clochard assis à un arrêt d’autobus cherchant une dernière goutte à sa bouteille enveloppée dans un sac en papier, et des ambulanciers portant secours aux blessés. En parlant avec ce soldat, qui était à la fois notre chauffeur improvisé, nous en avons appris un peu plus. Toute cette vague de violence aurait été provoquée après qu’un jeune afro-américain sans histoire, Hewitt Brown, eu été abattu par un policier après une banale infraction au code de la route. Une autre sale bavure policière comme il en arrive très souvent à Los Santos. Cela nous rappelle les durs souvenirs de East Beach en 2003, lorsque Hector Fernandez, confortablement assis dans son salon à écouter la télévision, a été abattu par erreur lors d’une perquisition mené par l’escouade des narcotiques. À cause d’une erreur de communication, les policiers s’étaient pointés à une mauvaise adresse. Il s’en était suivit 3 jours de soulèvement par la communauté hispanique. Le quartier avait dû être bouclé. Les négociations avaient été longues et difficiles.

Lieu de la bavure policière de East Beach en 2003 Lieu de la bavure policière de East Beach en 2003

Pour cette nouvelle bavure, comme le veut la procédure lorsqu’un policier est impliqué dans la mort d’un citoyen, l’enquête sera confié à un autre service policier par souci de transparence, de qui on en espère en apprendre un peu plus. Nous vous livrerons les détails dans une autre édition du Liberty Tree.

Nous avons quand même obtenu copie d’un rapport tout aussi attendu, celui qui dresse un bilan sommaire de cette soirée mouvementée. On y indique un total de 418 arrestations, 157 blessés de toute sorte, 89 décès confirmés, et pour plus de 400 millions de dollars de dommages.  Cette nuit va donc passer à l’histoire.

Steven Rivers, Photographe d'expérience Steven Rivers, Photographe d’expérience

Je ne peux pas terminer cette article sans remercier mon photographe, Steven Rivers, pour sa très grande connaissance de la ville et pour sa débrouillardise, ce qui nous a très certainement sauvé la vie à plus d’une occasion. Steven est le genre d’homme que vous souhaiteriez avoir à vos côtés pour traverser ce genre de crise. Merci Steven, pour ta grandeur d’âme.

Je remercie également de façon individuelle toutes les personnes que nous avons croisées durant la nuit et qui nous ont aidé à leur manière par leur soutien, leur générosité et pour leurs témoignages. C’est dans des moments difficiles que se tissent les liens de l’amitié, ne l’oublions jamais afin que pareil crise ne se répète plus.

Merci beaucoup.